Shimmy Shake and Strip ! (Danse et déshabille-toi)
Cette semaine, le Salon de Thé berlinois met à l’honneur les femmes au caractère bien trempé et vous plonge dans l’univers froufroutant des strass et des paillettes ! Retenez ce nom : Lola de St Germain. Cette jeune performeuse pleine de peps se produit régulièrement sur la scène berlinoise depuis 3 ans et pratique l’effeuillage burlesque (rien que pour vos yeux !) qui lui permet de s’exprimer en toute sensualité, pasties au bout des seins. Elle est à ce jour la seule effeuilleuse burlesque française sur Berlin.
Être artiste, c’est être paradoxal
Après l’avoir vue performer sur la petite scène intimiste de la Villa Neukölln, subjuguée, je décide de la rencontrer un soir, à Rosenthalerplatz. Nous commençons par un petit shooting photo dans le parc sous les arbres pour finir par boire une limo au salon de thé „Petit Fleury“. Les passants curieux se retournent sur son passage (et prennent même ses escarpins en photos) : avec ses allures de pin-up rétro, ses chaussures à talon vertigineux, son joli minois poudré, ses lèvres rouges et pulpeuses et sa robe style années 50, elle ne passe effectivement pas inaperçu. Je découvre alors au fil de l’interview une jeune fille exubérante, passionnée, cultivée et quadrilingue. Elle semble d’une fragilité à fleur de peau et à la fois d’une grande combativité, elle est un peu femme-enfant, un brin excentrique et totalement imprévisible.
Le parcours de Lola de Saint Germain est assez atypique : depuis toute petite, elle baigne dans le théâtre, la musique, le chant lyrique et la danse classique. Originaire de Paris, elle fait un bac franco-allemand et une prépa littéraire dont elle déplore le conformisme. Mais ces années de prépa sont également révélatrices : elle découvre sa féminité et commence notamment à s’intéresser au burlesque. En troisième année de licence, elle reprend la fac et étudie l’Histoire de l’Art, l’Archéologie et l’Allemand jusqu’au Master. Elle rédige alors son mémoire de fin d’année sur la représentation des femmes dans les cabarets berlinois durant la république de Weimar (1918-1933), ce qui l’a beaucoup influencée par la suite. En parallèle de ses études, ses ambitions journalistiques la poussent à écrire pour plusieurs magazines en ligne, notamment pour le magazine berlinois et anglophone Sensa Nostra où elle s’occupe, entre autres, de la rubrique burlesque.
Premiers pas de danse à Berlin
Pourquoi Berlin ? Elle connaît la ville depuis l’âge de 15 ans et y séjourne pour la première fois dans le cadre du programme d’échange Voltaire. Si elle y vit aujourd’hui au rythme des minijobs, c’est surtout pour le coût de la vie plus bas qu’à Paris et à Londres, la „Mecque du burlesque“. Elle a commencé à se produire sur scène à Berlin il y a trois ans seulement et se découvre un véritable engouement pour la danse sulfureuse du burlesque traditionnel qui lui permet de se libérer de toutes ses angoisses. „La scène, c’est le seul endroit où je suis moi. La scène, c’est très désinhibant.“ C’est elle qui crée son propre personnage, fabrique ses costumes, réalise ses numéros, ses coiffures et son maquillage. Et tout comme les plus grandes danseuses de burlesque de l’histoire, elle cultive une vie compliquée et tumultueuse, notamment avec les hommes.
La poupée verte
Lola de St Germain compte à son actif 8 numéros burlesques, dont le spectacle très esthétique The Green Doll qu’elle perfectionne à chaque apparition. Ce numéro unique cache une histoire très personnelle : une petite poupée de porcelaine fragile et mécanique semble se libérer sans parole des carcans sociétaux pour exploser et devenir une femme qui assume pleinement sa se(x)nsualité.
La petite interview qui résulte de cette rencontre burlesque
Comment as-tu eu l’idée de faire du burlesque ?
Pendant des années, j’ai été le bouc émissaire de l’école, je n’étais pas comme les autres, rejetée et critiquée pour mon intellect et mon physique. À partir de la prépa, je me suis vraiment libérée et j’ai commencé à devenir femme : j’ai commencé à porter des talons, à me maquiller, juste à prendre soin de moi. L’année où Bettie Page (ndlr : pin-up, mannequin et playmate) est morte, on parlait souvent des pin-up avec ma meilleure amie Charlotte et c’est à ce moment-là qu’elle s’est écriée : oh mon Dieu, j’te verrais trop faire du burlesque ! J’ai tourné et retourné l’idée dans ma tête, puis j’ai commencé à devenir rétro de plus en plus dans ma façon de me maquiller, de m’habiller et de me comporter.
Tu te souviens de ta première fois sur scène ?
Ca a vraiment commencé avec les soirées „Le Bordel“ (soirées ou tu te mets à moitié à poil). Puis, j’ai eu deux semaines pour préparer un numéro à une soirée de stand-up. J’y ai fait mon premier strip-tease sur „Déshabillez-moi“.
D’où vient ton nom de scène „Lola de Saint-Germain“ ?
J’ai pris des cours de burlesque et une émission de télé est venue faire un reportage. Comme j’étais la meilleure élève dans le cours, j’ai pu faire une scène au „Primitiv Bar“, dans une grande soirée burlesque et deux minutes avant d’entrer sur scène, je n’avais toujours pas de nom. Ma prof de burlesque m’a dit : “calme-toi, ton nom c’est ton identité, donc il faut qu’il soit unique”. J’ai réfléchi rapidement et je me suis dit : Lola/Lolita, parce que mon personnage est une gamine qui s’amuse à titiller les hommes avec une sucette (j’adore les sucettes, je trouve que c’est l’un des trucs les plus érotiques au monde). Et St Germain, parce que je suis Parisienne et que c’était l’endroit de Paris où je retrouvais toujours ma meilleure amie Charlotte.
Un de tes meilleurs moments sur scène ?
C’était ma pire scène et le moment le plus magique. C’était au Festival de Burlesque de Berlin au Heimathafen l’année dernière. Je représentais la France. Coup sur coup, je commençais un nouveau job de serveuse qui me prenait toute mon énergie, j’étais malade et j’avais beaucoup de stress (juste à un moment où tu dois te sentir glamour…). Et putain, là je devais assurer, je le sentais très très mal. À un moment donné, il a fallu monter sur scène jouer “The Green Doll”, ma musique a commencé, j’avais 40 de fièvre. Tout foirait, j’ai failli abandonner alors que c’était le moment le plus important de l’année. Tout à coup, vers la fin j’ai commencé à taper sur le sol avec ma traîne – BAM, BAM, BAM – et là j’ai retrouvé toutes mes forces et je suis redevenue à nouveau moi-même. Mon visage s’est subitement recomposé et mis en mode burlesque : „Vas-y, c’est ton moment, alors tu vas le chercher“. Alors, je me suis mise à crier et j’ai vu ma prof de burlesque ébahie dans le public. Et c’est ça le vrai burlesque. Le glamour, c’est chiant et cucul, sans vie, genre Carla Bruni (ndlr : quand elle retire ses gants avec un air doucet). J’aime les expressions du visage et du corps, j’aime quand ça pète !
Quelle est la différence entre une strip-teaseuse et une danseuse burlesque ?
Dans le strip-tease, il y a une notion de nudité et de vulgarité. La strip-teaseuse danse pour un homme et gagne plus qu’une danseuse burlesque. En revanche, la danseuse burlesque est une performeuse artistique qui danse avant tout pour elle-même et non pour l’argent. (ndlr : cet article de Madmoizelle vous en dira plus !)
Comment est perçu le corps féminin dans le burlesque ?
Le corps féminin est magnifique, il faut le montrer, le rendre beau, pas par Photoshop, mais tout simplement en mettant la femme au centre. Le premier qui ose dire que sur scène je suis une femme objet parce que je me montre nue se prendra mon poing dans la gueule, parce que je suis tout sauf une femme objet. C’est ma sensualité, c’est moi qui m’exprime, ce n’est pas fait pour exciter les hommes. D’ailleurs, le public est majoritairement féminin. Les hommes ne se sentent pas à l’aise dans le burlesque.
D’où tires-tu ton inspiration pour tes spectacles ?
- Dans l’histoire du burlesque :
Sherry Britton est ma préférée. C’est une de mes grandes inspiratrices des années-30 et 40. Elle a eu 14 demandes en mariage, elle a épousé un milliardaire… et on a oublié son nom, il n’y a plus personne qui la connait sauf les danseuses burlesques.
Tempest Storm
Lilly St Cyr - Dans la coiffure :
Betty Page
Juliette Gréco (pour la frange) - Dans le style :
La femme des années 50 ! - Dans la peinture :
Jean Béraud
Alphonse Mucha
Marc Chagall - Dans la littérature
Les Liaisons dangereuses de Choderlot de Laclos - Dans la musique :
Army of Lovers
Deux Mouvements de danse que tu maîtrises à la perfection ?
Shimmy shake et bump’n grind ! (nldlr : remue les épaules et donne des coups de reins)
Quand est né le burlesque exactement ?
Le premier effeuillage burlesque aurait eu lieu en 1897 avec “Le Coucher d’Yvette”. (ndlr : le rôle était joué par Blanche Cavalli au Divan Japonais, elle enlevait tous ses vêtements sur scène avant d’aller se coucher dans son lit, une grande première dans l’histoire du strip-tease. Il n’existe pas de photos de cette actrice).
Une anecdote rigolote dans l’histoire du burlesque ?
Il y a plusieurs courants, mais on va dire que le burlesque traditionnel est vraiment connoté américain et que dans les années 20, c’était interdit de se mettre à poil sur scène, notamment dans l’Amérique conservatrice. Dans les clubs de strip-tease, il y avait une lumière rouge au fond de la salle et dès qu’un policier y rentrait, la lumière rouge s’allumait. Elles en jouaient beaucoup. Il y avait l’anecdote d’une danseuse burlesque qui portait un string avec des poils pour faire croire qu’elle était nue afin de se jouer de la police. Mais quand la lumière rouge était éteinte, elle enlevait tout.
Et ce modèle de femme un peu provocatrice te plaît ?
Elles ont toutes eu des vies incroyables. Avec les hommes, elles avaient des rapports conflictuels parce qu’elles étaient à la fois séduisantes et affirmées. Ouais, c’est cool ! Le burlesque rend la vie moins ennuyeuse ! Je finirai sûrement par devenir normale, comme les autres et ça me fait peur. Je touche du bois !
Est-ce selon toi une forme d’émancipation de femme ?
Elles étaient maîtres de leur argent et de leur corps et elles allaient contre les codes de la société, donc oui, je pense que c’était une forme d’émancipation, même si elles le faisaient avant tout pour gagner leur pain, payer leur loyer.
Quels conseils donnerais-tu à celles qui souhaitent se mettre au burlesque?
Si on veut monter sur scène professionnellement, il faut du charisme. C’est en te recentrant sur toi que tu arrives le plus à donner aux autres. Comme une explosion. Je pense souvent à une bombe nucléaire quand je pense à la scène. C’est magnifique toute cette énergie qui explose. Les gens te le rendent bien en applaudissant et en criant, ce qui est très important.
Sinon les cours sont ouverts à toutes les femmes peu importe leur physique. De nombreuses femmes prennent par exemple des cours après l’accouchement, pour remuscler leur périnée et pour retrouver les sensations de leur corps.
Un mot pour la fin ?
La devise de ma prof de burlesque, Erochica Bamboo :
POWER OF THE VAGINAAA !
Aujourd’hui, Lola De St Germain se demande si elle doit continuer à se battre dans cette voie ou si elle va finir par se ranger dans la vie bien sage de Monsieur et Madame Tout le Monde. En tous les cas, elle planifie de travailler dans un nouveau bar/restaurant qui ouvrira en septembre : “Zum Starken August” qui lui permettrait de performer à côté. Elle prépare également un nouveau spectacle inspiré d’un tableau de Jean Béraud, mais chuutt, on n’en dira pas plus…
Je remercie Lola de St Germain pour avoir bien voulu jouer le jeu de l’interview qui m’a éclairé sur l’art du burlesque qui m’était jusqu’à présent presque inconnu ! Pour en savoir plus sur sa personne, connaître les dates de ses prochaines apparitions sur scène, ou pour la booker si vous êtes photographe ou organisateur d’événements, vous pouvez aller sur sa page Facebook et son site :
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